La langue de Champlain

Le temps est venu de mettre fin au recul du français au Canada.  Il ne suffit plus de faire la promotion du bilinguisme.  Le gouvernement fédéral doit augmenter ses efforts de façon décisive pour faire la promotion de l’utilisation du français partout au Canada.

Depuis les voyages de Jacques Cartier pendant les années 1530, et fort probablement avant cette période, le français a été utilisé sur les côtes de l’océan Atlantique qui constituent maintenant le Canada, ainsi que le long du “fleuve du Canada”.

À partir du 17e siècle, des colons parlant français s’établissent sur les littoraux de l’océan Atlantique et du fleuve Saint-Laurent.  Ces colons se décriront avec le temps comme des Acadiens, des Métis ou des Canadiens.

Au moment de la cession de l’Acadie, de la Nouvelle-Écosse et du Canada par l’entremise des Traités d’Utrecht (1715) et de Paris (1763), l’anglais est devenu la deuxième langue européenne parlée fréquemment sur notre territoire.  L’arrivée des Loyalistes pendant les années 1780, ainsi que l’afflux d’autres immigrants américains pendant les années 1790 et l’immigration à grande échelle de ressortissants du Royaume-Uni après la guerre de 1812, ont renforcé grandement les rangs des anglophones.

À peine un siècle après la conclusion du Traité d’Utrecht, l’anglais se retrouvait sur un pied d’égalité avec le français dans les colonies britanniques en Amérique du Nord.  Avec cette prise de position dominante de l’anglais, les langues autochtones, elles aussi, se retrouvaient en voie de disparition.

Le pourcentage de la population des provinces du futur Canada ayant le français comme langue maternelle passera de 50 % en 1820 à 30 % en 1867 grâce à des vagues d’immigration surtout Britanniques et anglophones.  Mais entre la Confédération (1867) et 1950, soit pendant plus de huit décennies, cette proportion de francophones est restée stable.  Avec la chute des taux de natalité durant la seconde moitié du 20e siècle, ainsi que l’arrivée de nouvelles vagues d’immigrants modernes et surtout anglophones pendant cette période, cette proportion a continué à s’affaiblir, atteignant 22 % en 2011.

En même temps, le nombre de Canadiens se déclarant bilingues, soit capables d’entretenir une conversation dans les deux langues, s’est renforcé pendant la même période et surtout après le rapport de la Commission royale présidée par MM. Laurendeau et Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme en 1963 et l’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969.  Selon les résultats du recensement de 2011, 5,8 millions de personnes au Canada se considéraient bilingues en 2011, soit 17,5 % de la population; en 1961, il n’y avait que 2,2 millions de Canadiens bilingues, soit 12,2 % de la population.  Cependant, le taux de bilinguisme semble avoir plafonné autour de 2001.

Le français a perdu du terrain au Canada depuis trois siècles, notamment en raison de l’immigration anglophone ainsi que de politiques plus ou moins explicites visant l’assimilation des francophones, telles que celles proposées par le rapport Durham en 1839.   Heureusement, ces politiques ont été peu à peu démantelées au courant du siècle entre 1860 et 1960.

La Confédération a au moins garanti le statut du français au sein des institutions parlementaires et judiciaires du Canada et du Québec, et depuis 1970 les commissions scolaires de langue française ou offrant des cours d’immersion, ainsi que l’octroi de services en français au Nouveau-Brunswick, en Ontario et ailleurs n’a pas cessé de se multiplier.  Cependant, selon les plus récentes statistiques, les étudiants qui apprennent le français en immersion sont très nombreux à le perdre par la suite – à force de ne pas avoir suffisamment d’occasions à l’utiliser.

En 2011, nous étions dix millions de Canadiens, soit 30 % de la population totale, à maîtriser « la langue de Champlain ».  Afin de permettre au plus grand nombre de Canadiens d’apprendre, d’utiliser et de s’épanouir en français, il faut miser sur un enseignement en français de qualité, sur des communautés francophones viables partout au Canada et sur des milieux de travail où la langue principale utilisée est le français.  Pour conserver la force du fait français au Canada, il ne suffit plus de faire la promotion du bilinguisme : il faut faire fleurir le français ainsi que les communautés francophones du pays.

Dans l’Union européenne, 54 pour cent de la population maîtrise deux langues.  Le Canada a la chance d’avoir deux grandes langues internationales comme langues nationales et officielles.  Nous devons viser haut pour le succès de nos deux langues en renforçant la présence et l’utilisation du français hors Québec.

Afin de multiplier les occasions de vivre et travailler en français partout au Canada, en tant que chef de notre Parti et Premier ministre du Canada, je m’engagerais à :

(i)             viser une proportion de la population ayant le français comme langue maternelle supérieure à 20 %, une proportion de la population capable de communiquer en français supérieur à 30 %, et une population bilingue grandissante;

(ii)           appuyer la planification urbaine, communautaire et économique dans toutes les régions où les francophones s’installent hors Québec pour renforcer le visage français de nos communautés, l’accès à l’éducation et aux services en français, et le français comme langue de travail;

(iii)          établir une institution fédérale permanente responsable de faire la promotion du français comme langue de culture, de science et d’affaires, ainsi que comme une langue numérique internationale d’invention et d’entrepreneuriat;

(iv)          augmenter le nombre d’immigrants s’établissant chaque année dans les provinces et territoires hors Québec jusqu’à 20 000; et

(v)           utiliser le rôle du gouvernement fédéral afin de renforcer l’utilisation du français en affaires, en recherche et dans les espaces publics partout au Canada.

Alexandra Day